GARDAREM VINCENNES
Quel Vincennes ?
Nous refusons de nous
limiter à des acquis de plus en plus précaires : nous entendons réaffirmer
le projet fondamental de notre université.
Le terme fondateur de ce projet est l'ouverture
: à la fois possibilité d'accès pour les étudiants non traditionnels,
et insertion de la pédagogie et de la recherche dans les réalités sociales.
Plus que l'étude du monde du travail, que l'attention aux minorités, que
l'analyse du tiers monde et des stratégies planétaires, bref que l'apparition
de nouveaux centres d'intérêt, cela signifie : réciprocité de la transmission
des savoirs, disparition des règles figés, prise en compte de
la diversité des demandes (curiosités variées, soifs de savoirs et de
rencontres, aussi bien que recherche de diplômes monnayables).
Le projet vincennois, à ce titre, est
un projet social : par remise en cause des hiérarchies, et
donc des statuts, dans un échange généralisé à partir des démarches antérieures
de chacun, dans le domaine des cultures, de la connaissance ou de l'expérience
sociale. A Vincennes, plus qu'ailleurs, les frontières peuvent s'estomper
entre prestataires et utilisateurs de service, entre différents types
de services : administratifs, pédagogiques, sociaux, etc.
Il est aussi un projet actuel :
Ni la défense d'intérêts corporatifs, ni la proclamation du caractère
sacré de la culture et de la recherche ne suffiront à faire échec à la
réorganisation de l'enseignement supérieur prévue par le ministère. L'université
n'a pu suivre l'évolution socio‑économique ; elle est supplantée
par les grandes écoles comme passage obligé vers les postes de décision ;
elle n'a plus à former qu'un nombre réduit d'enseignants du secondaire
et de chercheurs. Pour certains étudiants, elle n'est plus qu'un refuge
transitoire où l'on attend de pouvoir entrer dans les écoles spécialisées.
Elle est ainsi placée devant l'alternative : soit, avec des effectifs
et des moyens réduits, disputer à ces dernières leur prédominance dans
le domaine des formations courtes, soit donner à son rôle de garderie‑recyclage
un nouveau contenu.
L'affluence des étudiants, l'attachement
de tous ceux qui ont participé à l'expérience, la violence même des attaques
gouvernementales : autant de preuves que ce projet participe d'une réponse
à des besoins réels, profonds, que Vincennes a contribué à révéler. Un
éventail extrêmement ouvert de relations pédagogiques et d'enseignements,
y offre des possibilités multiples de regroupements, permettant de répondre
aux demandes les plus diversifiées ; le passage incessant de la recherche
théorique à la prise en compte des réalités et des diversités y interdisent
la fermeture sur un savoir constitué, vite dépassé, et permettent de proposer
aux travailleurs l'acquisition continue de nouveaux outils intellectuels,
qui seule permet une insertion critique dans le tissu social.
Ce projet est en butte à des attaques
convergentes, internes et externes, dont certaines font partie de
l'offensive générale du ministère contre l'enseignement supérieur. Elles
sont particulièrement dures pour Vincennes qui symbolise dans ce domaine
tout ce que l'actuel gouvernement veut faire disparaître.
Face à ces attaques, nous défendrons :
1) les
catégories les plus exposées : Après les personnels isolés (associés,
lecteurs, chargés d'enseignement) le ministère s'en prend
aux moins intégrés dans la fonction publique (assistants, vacataires).
A ces mesures s'ajoutent les menaces de licenciement des personnels non
titulaires lors d'un éventuel transfert. Parallèlement, les étudiants
étrangers sont filtrés (préinscriptions, attestation de ressources élevées),
et l'on est passé de deux à trois ans d'activité salariée exigés pour
les non bacheliers.
Défendre ces catégories n'obéit pas simplement à une préoccupation de justice ou de solidarité : sans elles Vincennes n'existerait pas.
2) Un fonctionnement différent.
‑ Dans une pédagogie ouverte, prenant
en compte les apports et les problèmes des individus, les étudiants participent
à l'élaboration collective d'une réflexion ou d'un savoir. Ils doivent
pouvoir, avec les enseignants, contrôler et évaluer les démarches contribuant
au progrès de cette élaboration. Ceci exclut la référence à un hypothétique
niveau absolu, et toute forme de compétition institutionnalisée ; elle
exclut une forme d'enseignement hiérarchisée.
L'introduction d'un pourcentage quelconque
d'examens se situe à l'opposé de ces principes. Nous refusons la généralisation
des notations chiffrées, qui pèsent alors d'un poids prépondérant dans
les relations pédagogiques. Il n'est pas possible de la circonscrire à
certains secteurs sans restreindre les possibilités de choix, et par là
l'interdisciplinarité : une fois introduite, la quantification prolifère
et se systématise.
En
tout état de cause, les signataires de cette plate‑forme s'opposeront
à toute contrainte uniformisatrice dans le domaine pédagogique, et à toute
atteinte à la pluridisciplinarité.
‑ Dans un type de relations sociales
où les fonctions et les catégories sont moins séparées qu'ailleurs, et
les hiérarchies remises en cause, il serait vain de nier l'existence de
problèmes de fonctionnement, de divisions catégorielles et idéologiques,
de discriminations, d'exploitations. Vincennes n'est pas isolé de la société
globale. Résoudre ou atténuer ces conflits ne peut s'y faire en imposant
un ordre factice.
Nous entendons privilégier la discussion, l'autonomie des différents ensembles,
le respect de la différence, et la lutte pour les objectifs communs.
3) L'unité organique de l'université.
Elle est menacée par les projets de déménagement
: si à Saint‑Denis on ne prévoit que les 2/3 de la surface pédagogique
actuelle, et la moitié de la surface administrative, c'est que l'on veut
soit nous entasser ‑ et nous décourager ‑ soit faire un tri.
Si les services sociaux ne sont pas mentionnés dans le projet, c'est que
l'on ne veut plus de chômeurs ou de mères de famille. Si l'on se propose
de gaspiller 15 milliards dans un déménagement absurde, c'est pour en
profiter et faire disparaître les gêneurs.
Elle est menacée aussi ‑ il faut
le dire ‑ de l'intérieur. Sont apparues çà et là des stratégies
visant éliminer des fonctionnements, de tous ordres, perçus comme "peu
présentables" à l'opinion. Ce genre d'appréciation introduit des
clivages manichéens et nie l'hétérogénéité féconde de Vincennes :
chaque bloc se définissant par la désapprobation morale et le mépris de
l'autre. On débouche alors sur des tactiques du type "chacun pour
soi".
Les
actions pour "Vincennes a Vincennes"
le "droit à ta différence" et le refus du démantèlement doivent
être relancées par une mobilisation accrue et des initiatives multiples.
En
tout état de cause, nous n'accepterons aucun licenciement, aucune disparition
de poste, de formation ou de service, aucune atteinte à t'unité organique
de Vincennes autour de son projet social et pédagogique.
LE BALAYEUR ET LE PRÉSIDENT
La lutte a été interrompue, en novembre
et décembre 1978, par une crise dont il est indispensable d'analyser les
origines et les conséquences.
1) A un premier niveau, elle s'est présentée
comme l'opposition entre deux tendances défendant des conceptions
antagonistes de l'université.
‑ D'un côté, tous ceux qui ressentaient
la politique de gestion interne comme une fragilisation supplémentaire
des personnels ATOS, étudiants étrangers et chargés de cours, dans le
contexte inquiétant de la menace de transfert, et qui refusaient qu'au
nom de cette menace et de certaines difficultés de fonctionnement, on
fasse de Vincennes une université, voire une entreprise conne les autres.
‑ De l'autre, ceux qui se référaient
à une université définie principalement par le haut niveau de son enseignement
et le lien de celui-ci avec la recherche ; qui affirmaient que les examens
pouvaient revêtir un caractère novateur ; qui insistaient sur les devoirs
des travailleurs ‑ au nom même de la spécificité de Vincennes ;
qui rappelaient les prérogatives du président ; qui condamnaient, et acceptaient
que soient sanctionnées des "pratiques indéfendables".
S'en
tenir à cette opposition serait oublier qu'elle traversait, en fait, les
catégories, les instances, et même les individus. La crise doit être rapportée
pour être comprise, au fonctionnement de l'institution.
2) Participer à la gestion de l'université
implique que l'on accepte d'être à la fois mandataire des usagers et représentant
de l'autorité. Cette situation conduit à des contradictions. Les responsables
n'ont trouvé d'autre moyen d'y échapper que de les nier, et de s'affirmer
investis d'un mandat global, non contradictoire, de "bien" gérer
l'université, au mieux de ses intérêts.
S'autonomiser
de la sorte était d'autant plus facile que l'autorité du ministère est,
somme toute, lointaine, et que le contrôle des usagers sur le conseil
était des plus réduits : les mouvements contestataires étaient sur le
déclin, les commissions se résignaient à une consultation plus formelle
que réelle, la masse des enseignants se détachait progressivement de la
vie de l'université ‑ partie par confiance, partie par ignorance
(souvent volontaire), partie par désintérêt pour des actions dont les
principes n'étaient pas les leurs.
Ainsi
s'est déclenchée l'évolution vers la centralisation du pouvoir
: des responsables dévoués et compétents se trouvent posséder le monopole
de la connaissance des dossiers, et donc des décisions, ce qui accentue
le désintérêt de la base, qui lui-même renforce et justifie la main‑mise
des responsables. Le Conseil (voire le président) apparaissaient ainsi,
en dépit de la faiblesse de leur électorat, comme le seul pouvoir réel,
et par là seuls bénéficiaires de la lutte menée contre le ministère.
La politique
qu'avaient définie les responsables les avaient placés à plusieurs reprises
en situation de conflit avec les personnels ATOS. Lorsqu'elle aboutit
à des "erreurs" à propos des notations, à des sanctions et à
un licenciement, leur mobilisation pour la défense de Vincennes dut s'investir
dans leur propre défense à l'intérieur de l'université.
La crise
de décembre 1978 a fait apparaître la coupure entre les principaux
responsables et ceux dont ils se déclarent les représentants. La démission
des enseignants avait entraîné une délégation de pouvoir en cascade. L'impossibilité
de se faire entendre par le moyens habituels (grève, pétitions, AG) a
abouti au surgissement d'actes individuels de désespoir (grèves de la
faim). Auraient‑ils eu un tel retentissement s'ils n'avaient mis
en évidence le blocage de l'institution et l'injustice faite aux plus
vulnérables ?
3) Au sortir de cette crise, nous nous
trouvons devant une situation radicalement nouvelle. A travers la violence
des affrontements, il est apparu clairement qu'il ne s'agissait plus tellement
de responsabilité personnelle, mais d'un processus classique de personnalisation
du pouvoir et d'engluement bureaucratique. Parallèle ment se faisait jour
de tous côtés le désir d'un renouveau de la mobilisation et de la démocratie.
LE PARI
C'est dans la perspective de cette évolution
que se situe notre position.
Par le biais des commissions, de responsabilités
diverses dans les départements ou les services, la participation à la
gestion est déjà pratiquée en fait par nombre de ceux qui en refusaient
le principe. Le refus symbolique de participer au conseil n'a pas affaibli
l'emprise du ministère, ni le pouvoir des organes de gestion. Aujourd'hui
il se révèle que le conseil jouit d'un pouvoir exorbitant et sans contre‑partie.
Ses initiatives ont pu bloquer le fonctionnement et la lutte de l'université.
Dans une situation aussi grave que celle
que nous connaissons, il fallait faire le pari que, entrant au conseil,
nous réussirions à inverser le processus de délégation de pouvoir (même
s'il est tentant de "faire confiance" à un conseil plus représentatif).
Nous
faisons ce pari. Il ne pourra être gagné que si l'université est prise
en charge par l'ensemble de ceux qui y participent, permettant un autre
type de fonctionnement, et d'autres rapports entre le conseil et les diverses
composantes de l'université.
La gestion ne doit pas être indépendante
de la lutte. Il serait naïf de les confondre.
‑ il existe une gestion au jour
le jour, où l'on est obligé d'appliquer nombre de contraintes administratives,
faute d'avoir les moyens de s'y opposer, ou en attendant que la lutte
les ait fournis.
‑ la politique de gestion se juge
à sa cohérence avec la lutte : elle devra atténuer les inégalités entre
les individus, les services ou les départements, préserver les catégories
menacées, et faire obstacle aux tentatives, internes ou externes, de démantèlement
ou de dévoiement du projet d'ensemble.
‑ les organes de gestion jouent
un rôle dans la lutte : interlocuteurs désignés du pouvoir, ils
doivent être à l'écoute permanente des organes de mobilisation pour les
seconder et les relayer. Ils n'ont pas à se confondre avec eux.
La
liste que nous présentons devra prendre en charge l'ensemble de ces tâches.
Elle ne peut donc engager la responsabilité d'organisations de type syndical.
La délimitation des responsabilités respectives
du président et de son bureau (qui exécutent la politique de gestion),
du conseil (qui la définit), des commissions (qui l'élaborent), des départements
et des services (autonomes à l'intérieur de ce cadre) constituerait déjà
une révolution dans le fonctionnement institutionnel de l'université.
Ainsi les décisions suivraient les délibérations, toutes informations
données, et non l'inverse.
Ce renouveau démocratique ne peut être
le fruit d'une décision juridique mais d'un engagement collectif.
Nous nous engageons quant à nous à transmettre
et à recueillir l'information, à provoquer la discussion avant de déterminer
notre attitude, aussi bien devant les instances formelles assemblées ou
collectifs de départements ou du personnel, sections syndicales que devant
les instances informelles qui nous offriront la possibilité d'un débat
ouvert à tous. Ces débats permettront, au fur et à mesure des échéances,
de juger de l'efficacité de cette tactique. L'issue de cette entreprise
dépend de la participation de chacun à l'élaboration et au contrôle permanent
de nos positions, à la création d'un nouveau rapport de forces tant à
l'intérieur qu'à l'extérieur de l'université.
Le
succès de notre pari dépend d'abord du nombre de voix que nous pourrons
faire entendre au sein du conseil. Il dépend surtout d'un redémarrage
de la lutte auquel nous ne pouvons faire plus que contribuer.